C’est une phrase qu’a prononcé un de mes congénères avec autisme. Alors que je parlais d’un problème que je voyais apparaître dans certaines études scientifiques, souvent produites par des personnes sans autisme, des moldus. Le fait que certaines interprétations de nos comportements me paraissaient parfois erronées. Peut-être à cause d’une différence de fonctionnement cognitif pas forcément simple à transposer. J’ai le même problème pour analyser des fonctionnements non-autistiques auxquels j’ai l’impression de ne pas avoir accès.
Cette discussion m’a fait réfléchir et j’ai essayé de transposer tout en cherchant un peu comment s’était développée la connaissances des primates. Ce que j’en ai retiré, c’est qu’il semble y avoir deux situations où l’étude des primates avait fait de grandes avancées. Premièrement, dans la recherche in-situ. D’une certaine manière, les chercheurs ont été intégrés à la communauté de primates qu’ils étudiaient, comme des invités de marque. Deuxièmement, ce sont les primates qui ont appris à s’exprimer dans notre langage, qu’il soit oral ou gestuel.
Je ne dis pas que les autres recherches n’ont rien apporté. Déjà, je ne suis pas assez compétent pour pouvoir me faire une opinion tranchée. Je dis juste que la position d’observateur extérieur est source de biais.
Sujet d’expérimentation surprenant
Ayant moi-même participé comme sujet, à différentes études sur la cognition – avant mon diagnostique du TSA et après celui du TDA/h – j’ai pu découvrir que je produisais des résultats inattendus. Dans un cas, la surprise m’a juste été exprimée. Dans un autre, cela a été plus compliqué.
C’était un test sur la vision périphérique, mais je ne le savais pas. Il fallait signaler si un carré, apparaissant et disparaissant, s’était déplacé à gauche ou à droite. Entre chacun, il y avait une forme au centre à fixer.
Le test se passant en plusieurs phases identiques, j’ai commencé la première phase en déplaçant rapidement mon regard pour utiliser ma vision fovéale, bien plus précise. Mais cela m’a très vite fatigué. Puis, pour la deuxième séquence de test, n’ayant pas envie de me fatiguer, je me suis dit que j’allais utiliser uniquement ma vision périphérique.
Pendant la pause après cette deuxième série, j’ai eu envie de questionner l’expérimentateur sur les stratégies utilisées par d’autres cobayes. Cela l’a surpris. Ce qui m’a surpris. J’ai du préciser les stratégies que j’avais utilisées. Immédiatement, il m’a répondu qu’utiliser la vision fovéale n’était pas possible, car le test avait été développé pour que nous n’ayons pas le temps de le faire.
Autant dire que j’ai ressenti quelqu’un qui me prenait pour un mythomane. Je me retrouvais dans une situation bien connue. Faire quelque chose de paraissant impossible pour mon interlocuteur. Je me demande toujours de quel droit la personne me traite implicitement de menteur. Or c’est possible de le prouver. C’est, d’ailleurs, toujours à moi qu’incombe la charge de la preuve. Mais j’ai appris à ne plus me laisser avoir…
Et pour l’autisme ?
Force est de constater que la plus grande partie de la connaissance académique sur le sujet n’est pas produite par les personnes porteuses. Cela évolue gentiment.
Rien que la terminologie est une interprétation biaisée. On commence par parler de trouble, ce qui nous classe immédiatement dans la catégorie « personnes défectueuses ». Ensuite vient le mot autisme dont j’ai déjà parlé dans mon article « Les autistes sont…« . J’en reprends la partie concernant ce mot descriptif:
Cela vient du grec ancien autós (“soi-même”), décrivant un comportement tourné vers soi. Donc pas connecté vers l’extérieur. Ce que je perçois des personnes autistes, c’est totalement l’inverse. Des personnes tellement connectées vers l’extérieur que cela en crée de la souffrance, ce qui nous oblige à nous protéger dans cette bulle. Les autistes ne sont pas ceux qu’on pense…
Je pense qu’il y a souvent un autre biais qui se retrouve dans les études, qui concerne l’échantillon « représentatif » de la population avec autisme. Représentatif de la partie reconnue et diagnostiquée. De fait, il omet toute les personnes qui ne sont ni l’une ni l’autre et qui auraient pu influencer le résultat de cette étude. A l’époque de Kanner et Asperger, il était inimaginable que des personnes avec mon profil puissent avoir un autisme, et probablement même encore récemment. Cela implique, de fait, un biais important dans l’observation et l’interprétation que l’on en fait.
Si l’on rajoute les différences de fonctionnements cognitifs, qui peuvent faire paraître les raisonnement autistiques complètement absurdes à des personnes qui ne sont pas dans le spectre, alors l’interprétation des résultats en sera aussi influencée.
Analogie de la piscine
Depuis quelques temps j’ai développé un intérêt spécifique pour les écrits d’Erich Fromm, puis, progressivement, pour le personnage.
Ses écrits m’aident beaucoup à mettre des mots sur mes pensées, et j’utilise nombres d’entres eux pour mieux m’exprimer. Aurais-je un comportement de perroquet ou de disciple? Après réflexion, j’utilise une stratégie pas nouvelle, qui veut que quand je trouve quelqu’un qui exprime d’excellente manière ce que je peux penser, je garde ses phrases en tête et les réutilise. En aucun cas cela signifie une absence de réflexion personnelle, juste une incapacité à les mettre en mots. L’article « Le français n’est pas ma langue maternelle » est là pour vous, si vous désirez plus de détails.
Voici un extrait:
Une personne qui a simplement vu une piscine de l’extérieur, sans entrer dans l’eau, en fera une description correcte mais extérieure à elle, sans « intérêt ». Si la même personne, en revanche, au lieu d’avoir seulement vu la piscine, s’est baignée dedans, s’est littéralement « mouillée », elle est alors en mesure d’en parler différemment. Il s’agit d’une personne différente parlant d’une piscine différente. La piscine et la personne, sans se confondre, ne s’opposent plus.
Le fait que les observateurs sans autisme, ne peuvent se jeter dans le spectre, contient un biais. Tous les observateurs ne sont pas sans autisme et certains ne se savent pas dans le spectre.
La phrase qui prétend « On n’a pas besoin d’être un primate pour étudier les primates » est totalement vraie. Exclure ce fait, serait une probablement une perte d’informations. Cela n’empêche pas de chercher à inclure de manière progressive des personnes qui vivent dans cette piscine, pour en améliorer sa description. Tout en ne négligeant pas le fait que la piscine est grande. Sans oublier que, probablement, personne n’a visité tout ses recoins.
Au final, l’amélioration de la détection et de la prise en charge permettra probablement de permettre à certains de suivre plus aisément des parcours académiques. D’apporter leur pierre à l’édifice (ou de l’eau au moulin).
Pour aller plus loin
The Significance of Involving Nonspeaking Autistic Peer Mentors in Educational Programs
Designing an autistic space for research
Photo de Nomao Saeki