Si il y a bien un domaine où je retrouve des similitudes avec d’autres personnes avec autisme, c’est bien la compréhension, la gestion et l’application des règles, quelles qu’elles soient.
Une des définitions de « règle » est:
« Prescription, de l’ordre de la pensée ou de l’action, qui s’impose à quelqu’un dans un cas donné »
Larousse
La compréhension des règles
Quand j’étais petit, certaines règles m’ont été inculquées de manière plutôt rigide. Elles sont venues de sources très diverses: l’école, les adultes, les parents, la famille, les copains, la société.
Souvent, elles étaient très dogmatiques, une petite touche de bien et de mal les assaisonnant. En rajoutant mon interprétation un peu binaire bien sûr.
Je me rappelle certaines de manière plutôt claire, je vous expliquerais pourquoi plus tard. Il y en a une que j’aime bien utiliser pour imager mes propos. Elle illustre assez bien tout ce que cela implique.
Quand j’étais enfant, une règle imposée était que je devais dire bonjour aux adultes, tous les adultes, parce que j’étais un enfant. Une règle basée sur le respect des personnes plus âgées que soit. Je ne peux pas dire que je l’ai beaucoup apprécié. Déjà parce que je n’avais pas forcément envie de leur parler. Ensuite, cette règle en impliquait une autre, que les adultes répondaient à mon bonjour par un bonjour. Ce n’était pas tout le temps le cas, et ça m’agaçait beaucoup ces gens qui respectaient pas cette règle. Je ne comprenais pas le fait d’être obligé d’appliquer une règle alors que certains outrepassaient le respect de la règle qui leur était imposée, enfin je le croyais. Pour d’autre j’étais un petit garçon très poli, ce qui était une attente parentale compréhensible.
La hiérarchie des règles
C’est un domaine qui m’a posé et me pose encore beaucoup de problèmes. Les règles ont des degrés d’importance différente. C’est un peu comme un mille-feuille, où les plus importantes sont en haut et celles qui le sont moins se situent tout en bas. Les degrés dépendent de nombreux facteurs. Déjà, certaines de mes règles de vie découlent de mes valeurs personnelles, elles ont souvent un degré de priorité supérieur aux autres.
Mais ce qui est compliqué avec la hiérarchie réglementaire, c’est que le mille-feuille n’arrête pas de se recomposer. Les couches montent et descendent en permanence, en fonction du contexte, entre autre.
Même certaines d’entre elles, que l’on ne doit pas transgresser, ont des exceptions. Celle qui me dit que je ne dois tuer personne, pourrait très bien devenir invalide si je me retrouve confronté à quelqu’un qui voudrait attenter à ma vie. Mais si je l’ai érigé en dogme, aurais-je le temps de la réévaluer ? Probablement pas.
L’interprétation des règles
C’est aussi un sujet qui peut porter à confusion. Dans de nombreux cas les règles ont une interprétation qui reste partiellement personnelle. Elle possède une composante implicite qui, si je n’y ai pas été confronté auparavant, peut totalement m’échapper. Un exemple ? Oui 🙂
Les règles de semi-confinement dues au CoVid-19 m’ont, au début, posé beaucoup de problèmes. La 1ère étant de rester chez soi, pour éviter des contacts à risque tout en ayant le droit de sortir, mais pour des raisons impérieuses.
J’avais, avant ces règles, l’habitude de m’aérer dans des lieux où je ne croisais personne, mais soudainement, je me suis retrouvé dans la situation où je n’étais plus capable de savoir si je pouvais ou pas sortir, il y avait un conflit entre ces différentes règles. De plus, j’avais d’autant plus de peine à savoir si ce besoin de prendre l’air, qui avant ces nouvelles règles, était un besoin vital pour mon bien être psy, devait être considéré comme quelque chose de toujours suffisamment important pour briser la première règle. Alors que je me promenais déjà dans des lieux exempts de toute personnes.
Cela s’est encore un peu plus compliqué quand les moldus (je vous rappelle que c’est comme ça que j’aime appeler les personnes sans autisme) se sont mis à fréquenter les lieux que j’appréciais. Ils n’y étaient pas d’habitude.
Finalement, il m’aura fallu des semaines pour réussir à me mettre plus ou moins d’accord avec moi-même. Les règles de base ayant suffisamment de flou pour qu’elles aient de multiples interprétations possibles et que le contexte changeant y ajoutait de la variabilité.
Les règles sont souvent sujettes à interprétation. Le fait que la justice, qui applique un ensemble de règles, les lois, ait parfois besoin d’un juge pour trancher des interprétations parfois opposées de ces dernières, montre que cela n’est pas forcément toujours simple. Même si elles ont été écrites avec soin. Une règle que j’ai apprise a ce sujet. La justice n’est pas juste. Et ben non, c’est pas simple à accepter. Et définir ce qui est juste reste très personnel. Penser en être détenteur est une source d’injustice.
Mais quand il manque ce côté implicite qui semble faire un peu défaut aux personnes avec autisme, il n’est pas surprenant que l’on puisse être considéré comme des potentiels coupables. J’avoue que c’est une situation que j’ai déjà connue. Mes réponses à certaines questions, qui pour d’autres semblaient évidentes, ne l’étaient pas pour moi. Source d’incompréhension dans le dialogue et donc de méfiance.
La notion de règle
J’ai longtemps perçu les règles comme quelque chose de plus précis que cela ne l’est réellement. Je ne me rendais pas compte que les règles régissent une grande partie de ma vie, sans pour autant réaliser que cela pouvait en être.
Une action déclenchée par un événement est une règle en soi. Si je mets le minuteur pour la cuisine et qu’il sonne, cela implique que ma cuisson est finie et que je vais retirer la casserole du feu. Pour autant que je n’ai pas oublié de l’allumer.
Si je prends les transports en commun et regarde les horaires. Je vais me présenter à l’arrêt à l’heure annoncée pour pouvoir monter dans le bus. Ce qui est assez rare avec tous ces gens qui me frôlent. Je ne vais pas comprendre que le bus est en retard. Que je vais manquer ma correspondance. Et finir par arriver en retard à mon rendez-vous.
Elles sont en fait partout dans ma vie. Je ne l’avais pas remarqué jusqu’à récemment. C’est à cause de réactions similaires par rapport à des événements qui semblaient totalement différents, que je me suis rendu compte que derrière il se cachait la même chose. Une règle avait été enfreinte, provoquant de la dissonance cognitive.
C’est aussi en observant et en questionnant les autres que je me suis rendu compte que plus la règle était simpliste et imposée, parfois dogmatique, moins elle nous permettait de la construire avec notre propre bagage. Finalement, tout non-respect pouvait nous mettre dans un état proche de la fin du monde, alors qu’il n’y avait pas mort d’homme.
La définition d’une règle
J’ai réalisé que de nombreuses règles venant de mon éducation ou d’apprentissages ultérieurs, qui ont été acquises sans contexte, et souvent avec des « il faut », « on doit », sont source de dissonance cognitive et de beaucoup d’anxiété.
Il y a aussi celles que je me suis « imposées » avec le temps sans faire preuve de suffisamment de recul, ou en les conscientisant et les verbalisant de manière trop approximative. En plus de les appliquer de manière très rigide dès leur apparition comme si elles étaient parfaites. Mais ne dit-on pas:
C’est l’exception qui confirme la règle.
Les proverbes sont, pour moi, un source de meilleure compréhension du monde, et pour certains, des règles. Il y en a un particulièrement que j’applique comme telle pour les autres, mais que je me refuse à appliquer pour moi:
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Il m’est important de tenir mes promesses et si je ne m’en sens pas capable, de ne pas en faire. Tout en essayant de ne pas oublier qu’il peut m’arriver, exceptionnellement, de ne pas les tenir. Parfois indépendamment de ma volonté. Ou encore que je ne promette pas, mais que je fasse quand même.
Par contre j’ai bien appris que pour la plupart des gens, faire des promesses et ne pas les tenir, c’est plutôt la norme. Même si je me fais encore avoir régulièrement, j’y suis plus attentif et privilégie les actions aux paroles.
L’article « Il vaut mieux être seul que mal accompagné » est aussi un bon exemple d’une citation qui est plutôt une bonne règle. Mais elle a quand même le défaut d’avoir une partie implicite, pas forcément évidente à appréhender.
Il est devenu, avec le temps, important de faire de plus en plus attention de bien définir les règles. En prenant en compte les exceptions et les imprévus qui pourraient exister. D’accepter aussi que les règles peuvent évoluer, ce qui est une règle en soit 😉
Je vous donne un exemple de logique qui existe en programmation, qui est aussi un ensemble de règles, parfois conditionnelles, que l’on donne à une machine.
Si vous faite un compteur, qui va commencer à 1 et doit d’arrêter à 6, le réflexe pourrait être de se dire que quand « compteur=6 » on s’arrête. En programmation, les bonnes pratiques vous diraient d’écrire ceci: si « compteur<7 » on continue. Pourquoi? Parce qu’on prend en compte le cas où pour une raison inconnue le chiffre 6 ai été raté. L’égalité n’ayant jamais été obtenue, le compteur ne s’arrête jamais, même arrivé à 125938410434. Alors que pour la 2ème expression, même si le compte pourrait être faux, car le 6 n’a pas été passé, dès qu’un chiffre au-dessus apparaît, cela arrête la routine. On prend en compte un cas de figure inconnu qui pourrait provoquer une situation imprévue dans la définition de la condition. C’est une manière d’éviter qu’un programme bogue, ce qui m’arrive aussi quand les conditions sont réunies.
Oui je bug, quand des informations cognitives ne rentrent pas dans le champ des règles qui régissent mon fonctionnement. Les jours fériés sont un problème. Les objets qui rentrent dans plusieurs cases au niveau classement. Ou même des stimulus sensoriels qui ne correspondent pas à celui attendu.
La bonne définition d’une règle
En lisant des écrits de Temple Grandin, entre autres sur les règles tacites des relations humaines, j’ai remarqué quelque chose qui au début me paraissait sensé, mais qui finalement est apparu comme un piège.
Elle dit qu’il faut donner des règles aux enfants avec autisme qui ne sont pas susceptibles de changer avec le temps.
En effet, cela me paraissait une bonne idée. Plus simples à assimiler, jamais remises en question, et qui ne provoquent pas d’angoisse tant qu’il est possible de les respecter.
Pourtant, je me suis rendu compte que c’est bien ces règles qui maintenant me posent le plus de problème à réécrire. C’est déjà impossible de rester dans un contexte où les règles ne changent jamais, à part vivre en stase. La société étant en constante évolution et accélération, c’est d’autant plus dur. Je partage tout à fait son avis sur le fait qu’avec le temps, l’évolution de la société, rend la vie des personnes avec autisme plus compliquée.
Si je reviens sur la règle que je devais appliquer étant enfant, celle de dire bonjour aux adultes. Pour me permettre de pas trop en souffrir, je me disais qu’il y avait un bon côté, c’est qu’un jour ce serait moi l’adulte et donc les enfants me diraient bonjour en 1er, avant que je leur réponde. Manque de chance, le temps que je devienne adulte, la règle a changé. Maintenant les enfants, pour la plupart, ne disent plus bonjour aux inconnus. Ça m’irrite toujours autant…
C’est vrai aussi, qu’il y a un certain confort à édicter des règles simples et absolues.. Ça évite de leur permettre de développer leur pensée critique, déjà envers eux-mêmes, et de se retrouver dans des situations de dilemme pouvant générer beaucoup d’anxiété. Les robots ne se posent pas de question, pour l’instant, ils agissent selon les règles qui leur ont été édictées. Mais est-ce une vie ?
Récemment, en suivant un cours sur le développement de la pensée critique, ce dernier a été mis en parallèle avec celui de l’empathie. Ça m’a fait et me fait encore beaucoup réfléchir et cela méritera un article prochainement. Cela raisonne tellement par rapport à certains de mes congénères qui ne semblent pas dotés de plus d’empathie que de pensée critique. Leur a-t-on laissé une chance de la développer ?
Il y a des fois des ensembles de règles qui me sont inaccessibles. Celles de la grammaire en font partie. Trop nombreuses et imbriquées. Pour m’aider j’ai un relecteur, qui s’assure aussi du sens de mes écrits. Je profite de l’occasion pour le remercier. Et pour essayer d’avoir un texte le plus agréable possible à lire, j’utilise un module qui évalue la qualité rédactionnelle de mes écrits, sur la base de règles. Je ne serais pas capable de les respecter sans eux, même si je les ai étudiées. Mais je me permets parfois de ne pas les respecter totalement. Cela me demande toujours un effort cognitif.
Au moment où je finis ces lignes, j’ai encore un peu de progrès à faire sur la longueur des phrases ^^
Après relectures, le pourcentage de phrases de plus de 20 mots est descendu. À 25 %. Ceci aussi grâce à ce dernier paragraphe. J’aurais pu m’acharner à raccourcir toutes les phrases au risque au risque de perdre du sens. Ce que j’ai fait au début. Une interprétation de la règle très binaire. Mais j’ai réalisé que pour faire baisser le pourcentage, je pouvais aussi ajouter des phrases courtes. C’est pas venu rapidement loin de là. Et si je n’avais fait que cela, je ne suis pas sûr que la lisibilité de mon texte aurait été meilleure.
Toutes ces itérations pour mieux comprendre et faire évoluer les règles, m’auront permis de rédiger ce texte. Elles ont été nombreuses. C’est aussi une particularité de l’évolution de mes règles de fonctionnement. Les changements se font bien seulement si j’agis par petites étapes de manière répétées. Dans le cas contraire, un trop grand nombre de conflits de règles apparaissent, cela devient insoluble.
Et parfois il est important de se rappeler une règle, ou deux. Que tout problème n’a pas forcément de solution. Qu’il peut aussi y en avoir plusieurs possibles. Les éthiques de la conviction et de la responsabilité sont là pour nous le rappeler, avec un regard et une pensée critique.
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