Voici un sujet où j’ai l’impression qu’il y a une différence notable de fonctionnement entre personnes avec et sans autisme. Même si cela semble concerner tout le monde, la sensibilité et la gestion semblent être différentes. Mais c’est quoi la dissonance cognitive ?
C’est un concept développé par Leon Festinger en 1957 dans son livre A theory of cognitive dissonance, qui dit que toute personne face à des informations, pensées, croyances ou émotions conflictuelles ressent une tension, un mal-être psychologique. Cette tension peut être réduite par des actes visant à atteindre une certaine cohésion personnelle.
Son ampleur dépend, entre autre, de l’importance accordée à une information cognitive et du nombre d’informations cognitives misent en balance.
Et la perception sensorielle ?
Dans les différentes lectures que j’ai pu avoir sur le sujet, j’ai remarqué que la perception sensorielle n’était pas souvent abordée. Et hop, je viens de me créer une dissonance cognitive, d’un côté je me suis pas mal documenté sur le sujet, de l’autre je ne me considère pas forcément assez documenté par rapport à mon échelle de valeur. Un petit goût de syndrome de l’imposteur apparaît au fond de ma bouche. C’est pas grave, étant un peu trop perfectionniste, je n’écrirais rien de mon vivant si je devais atteindre le niveau de connaissance que je considère suffisant.
Quoi qu’il en soit, je trouve cette partie de la cognition importante dans cette théorie par rapport à mon fonctionnement.
Par exemple, si je vois le visage de quelqu’un qui est plutôt bien mémorisé, mais qu’il y a un petit détail qui a changé, et bien en plus de ne pas le reconnaître, je vais sentir que mon cerveau n’est pas à l’aise. Il bug comme certains pourraient dire.
Des jours, il ne m’est pas possible de regarder une série TV couché sur le côté. Avoir l’écran tourné de 90° est insupportable pour mon cerveau. De plus, je ne reconnaîtrais rien du tout si c’est quelque chose déjà regardé.
Mon cerveau n’aime pas beaucoup la dissonance entre différents stimulus sensoriels. Un objet qui ne fait pas le bon bruit, le bon poids par rapport à son apparence. Une texture qui ne correspond pas à ce qui est visuellement attendu.
Des fois, c’est la perception sensorielle qui est erronée, comme des mauvaises informations. Nous nous sommes tous fait avoir par des illusions d’optiques comme celles créé par Maurits Cornelis Escher
La dissonance m’aide parfois
Même quand j’écris, la dissonance cognitive est présente. Je ne suis pas très bon en orthographe et surtout en grammaire. Il y a trop de règles à appliquer et je me perds. L’orthographe est partiellement sauvée par le fait que j’ai les mots en mémoire sous leur forme graphique, quand j’en écris un que je connais bien, faux, ça me met mal à l’aise. Pour autant, je ne sais pas forcément où se situe la faute. Je dois essayer plusieurs orthographes possibles pour trouver celle qui me soulage le plus.
Il en est de même pour le bruit des machines, comme j’en parle dans l‘article sur mon ouïe, qui me permettent de savoir que quelque chose ne va pas, quand, bien sûr, mes sens ne me trompent pas.
J’ai un autre situation où la dissonance m’aide, les relations humaines. Je perçois les gens comme des cloches. Toutes les informations cognitives qu’ils me fournissent, me permettent de les imager. Je croise des cloches de toutes sortes. Certaines sonnent terriblement mal, pour de multiples raisons. Fêlée par la vie, cachant leur vraie apparence, etc. Mes oreilles me font parfois souffrir quand quelqu’un qui sonne très faux me parle. Je me laisse le temps de découvrir pourquoi ils sonnent faux, malheureusement souvent c’est à mes dépens.
J’ai sonné moi-même très faux pendant longtemps, caché sous mon masque et mon armure. Je sonne encore faux régulièrement, même pour moi. Force est de constater que peu de gens l’ont remarqué. Il y a quand même de très belles cloches qui ne sonnent pas parfaitement juste.
Et comment la gérer ?
Les dissonances cognitives me sont extrêmement désagréable. J’ai l’impression que c’est là une grosse différence avec les personnes sans autisme, en plus de cette sensibilité exacerbée.
Pour le cas de l’écran tourné à 90°, pas beaucoup de choix possible. Ou je me bascule ou je bascule l’écran. Autrement je ne le regarde plus. Je peux aussi essayer de rassurer mon cerveau, mais encore faut-il qu’il soit dans un jour où c’est possible.
Je peux aussi corriger l’information en mémoire pour qu’elle corresponde plus à la réalité perceptive. Le fait de savoir que mes sens peuvent me tromper est une information cognitive importante à ajouter pour apaiser mon cerveau.
Les émotions sont aussi source de dissonance cognitive. La mauvaise compréhension que j’en avais a eu des effets néfastes. Je pensais que ma tristesse pouvait être permanente, que je n’en sortirai jamais. Alors que dans la réalité les émotions ont une durée très courte. Après c’est de l’auto-entretien. Depuis, même si je vis toujours certaines émotions difficilement, cela me rassure quand j’arrive à faire la part des choses, pour limiter l’impact. C’est aussi un moyen de moins culpabiliser quand je sors de ce cercle vicieux.
Une des techniques qui me semble m’être difficilement accessible alors qu’elle semble être courante dans la société c’est de « cacher sous le tapis ». Si je le fais, la minuscule bosse me pose problème à chaque fois que je passe dessus. Je ne dis pas que cela ne pose pas de problème aux personnes non autistes, j’ai juste l’impression qu’ils ne s’en rendent pas malade dans des proportions ahurissantes.
Outil de propagande
En me documentant, j’ai pu constater que la dissonance cognitive était très utilisée dans la publicité, dont un des pionniers est Edward Bernays. Double neveu de Sigmund Freud, il a transformé le terme « propagande », qu’il trouvait trop connoté, en « public relation ».
Si il y a bien des domaines auxquels je suis totalement étanche, si je suis correctement informé, ils en font partie. Ça me fait penser à d’autres personnes avec autisme sur qui certains aiment bien taper, comme Greta Thunberg. Pas pour le message, mais en les accusant de manipulation et de naïveté. Encore un bon exemple de comment gérer la dissonance cognitive, en tuant le messager.
Un livre intéressant qui à été source d’inspiration et d’information: La démocratie des crédules de Gérald Bronner.
Et c’est les personnes autistes qui sont naïves….
Photo de Shaouraav Shreshtha