Dès que j’ai commencé l’école, il m’est arrivé relativement souvent de me faire traiter de mongol. C’était de manière insultante. Associé à ce qui s’appelait le mongolisme, qui a été remplacé par le terme trisomie 21 ou syndrome de Down.
C’était un des nombreux surnoms donc j’ai été affublé, pour la plupart avec une connotation psychophobe. J’avoue qu’il m’est aussi arrivé d’utiliser ce genre de terme avec d’autres, par mimétisme, pour faire comme les autres, pour être plus « comme eux », plus intégré et j’en suis pas fier.
Il est vrai que j’ai toujours été « différent ». À l’école primaire, j’étais souvent le plus grand, le plus jeune, en plus de répondre au-delà des attentes. De plus, ayant vécu les premières années de ma vie dans une autre région que celle où j’ai fait ma scolarité, je suis arrivé parmi un groupe d’enfants ayant déjà eu des interactions. Ils avaient fait une année d’école ensemble à mon arrivée.
Mais pourquoi s’étaient ils trompés de pays ?
Il m’aura fallu du temps pour comprendre que je venais bien d’une contrée éloignée, inaccessible, contrairement à la Mongolie, principalement habitée par des Mongols.
Je viens d’Autistan, un terme il me semble inventé par Josef Schovanec. C’est une trouvaille lumineuse. Cela défini partiellement ce qu’est l’autisme. Un mode de pensée différent, qui provoque une sorte de décalage culturel.
La particularité de ce pays, c’est qu’il est inaccessible pour les personnes qui n’y sont pas né. Vous pourrez chercher autant que vous voulez des vols à destination de l’Autistan, il n’y en a pas, et même si vous choisissez de sortir des sentiers battus pour l’atteindre, vous ne le trouverez pas.
Nous sommes tous des expatriés. Nous portons nos racines en nous, et parfois, nous sommes content de pouvoir partager avec d’autres ayant fait le même voyage.
Comme d’autres binationaux qui viennent de pays que vous pouvez visiter, nous souffrons de l’incompréhension provoquée par nos divergences culturelles, cette neurodivergeance qui fait partie de nous. D’autant plus, nous ne savons pas tous, ou l’apprenons tardivement, cette double appartenance.
Et comment c’était lors que je voyageais
Il y a une chose qui m’a toujours surpris quand je voyageais dans un pays autre que celui où je suis né et ai vécu, c’est que je me sentais parfois mieux toléré. Pourtant je masquai souvent moins, probablement à cause du fait que je perdais nombres de repères qui me le permettait plus facilement dans mon environnement habituel. En plus, je me retrouvai confronté à des cultures différentes et des gens inconnus. C’est bien plus dur d’avoir des scripts fonctionnels dans ce cas.
J’avais aussi remarqué, plutôt après le passage à l’âge adulte, qu’en plus de faire rire avec mes bizarreries, les gens pensaient que j’étais représentatif de ma contrée et que les autres étaient comme ça.
Je répondais souvent:
Attention, tous les Suisses ne sont pas comme moi.
Je vis dans un petit pays avec 4 langues nationales, j’étais bien placé pour savoir à quel point les différences culturelles étaient importantes entre ces régions linguistiques. Et même avec ça, je ressentais cet écart avec d’autres habitant de ma région.
En fait, ils n’avaient pas tort. On avait juste un mauvais référentiel. Je ne me savais pas encore heureux propriétaire d’un TSA. Et oui, je ressemblais beaucoup à d’autres habitants de l’Autistan.
Amusant de découvrir que pour les personnes avec autisme, aller vivre dans un autre pays est une stratégie de masquage.
Cette proximité, je la ressens de plus en plus. Avec des profils qui semblent totalement opposés au mien. C’est devenu encore plus frappant depuis que j’ai réussi à codifier, à ma manière, des comportements autistiques et leurs origines. Je me retrouve confronté à des personnes venant d’Autistan, alors qu’eux ne le savent pas encore. Je leur souhaite de le découvrir rapidement. Connaître ses racines, c’est précieux pour avancer dans la vie.
La différence on la vénère, une fois qu’on y est confronté, on la fuit et on l’ostracise
Je serais aussi heureux d’être un peu considéré comme une personne de culture différente, dans le pays où je vis. Ne pas être jugé pour cette neurodivergeance bien mal comprise, et même questionné quand c’est possible.
C’est un peu trop facile d’apprécier ce que je suis quand ça apporte des avantages, pour être mis à la poubelle dès que ça présente des inconvénients. Ces derniers ne le sont pas forcément pour moi.
Encore de trop nombreuses fois, je semble être considéré comme non intégrable. J’ai pourtant fait beaucoup d’efforts dans ce sens. Rarement les résultats ont été bons. Très souvent cela a été à mes dépens, et ma santé en a été gravement dégradée.
Cela me donne l’impression d’être comme de nombreuses personnes qui ont dû quitter leur pays, quelle que soit la raison, qu’on a été content d’accueillir pour ce qu’ils pouvaient apporter, mais aussi rapidement haïs pour un soi-disant manque d’intégration. C’est peut-être cela qui m’a donné un peu plus de tolérance, parfois.
Je viens d’Autistan et j’en suis fier !