Voici un des nombreux mots de la langue française qui n’a pas réellement de sens pour moi. Même si j’en comprends la signification et qu’il m’arrive de l’utiliser, je constate que ma perception de son sens et un peu différente.
Ce n’est pas le seul mot qui me pose des problèmes: « identique », entre autres, fait aussi partie de cette liste. Je constate que, souvent, tout ce qui s’utilise sans référentiel explicite est une source de doute.
« Il fait froid » est aussi un bon exemple, pour les allistes (non-autistes) il semble que le référentiel est évident, qu’aucun effort n’est nécessaire pour qu’il soit intégré sans qu’il soit explicité. Pour moi, c’est un peu plus complexe, il dépend de nombreux facteurs, le lieu, le moment, ce que j’ai en tête, de ma perception et de ma charge sensorielle et émotionnelle.
Prenons un exemple, me dire « il fait froid » me force à trouver le reste de la phrase qui est pour moi incomplète, il fait froid par rapport à quoi, quand, où ? Si j’ai vu, juste avant, un reportage sur les Inuits et que je l’ai encore en tête, alors qu’on est en hiver et qu’il fait zéro degré, j’aurais tendance à penser que non, me rappelant des températures bien inférieures dans le grand nord.
C’est le même problème pour la perception de la température, mon référentiel sensoriel, n’est pas stable du tout, non seulement en fonction de la saison, mais il peut aussi varier de nombreuses fois au cours de la journée. Sans un thermomètre pour me permettre de comparer mon ressenti à la température réelle, je ne suis pas souvent en mesure de l’estimer, ce qui peut me conduire à ne pas être habillé de manière adaptée. Ou à ne pas réaliser que j’ai froid au moment où j’ai perdu la sensibilité dans mes extrémités. Il est possible que si je me demande si j’ai froid, je me réponde oui puis non et finalement, je ne sais pas vraiment.
Revenons au « hasard », dont voici la définition du Larousse.
Puissance considérée comme la cause d’événements apparemment fortuits ou inexplicables : Rien n’a été laissé au hasard.
Circonstance de caractère imprévu ou imprévisible dont les effets peuvent être favorables ou défavorables pour quelqu’un : C’est un pur hasard que vous m’ayez trouvé chez moi à cette heure.
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/_hasard/39162
Les notions de hasard définies par le Larousse à cette page sont aussi très intéressantes, autant que perturbantes, car elles définissent différents types de hasard, mais comment peut-on définir différents concepts de quelque chose qui décrit l’imprévisibilité ?
Dans ma vision du monde, je ne comprends pas le hasard, le fait de dire que les probabilités représentent sa forme réglée annihile le concept même du hasard. Si un tirage de dés infini donne toujours la même répartition statistique, où est le hasard ?
Il y a quelque temps je discutais avec quelqu’un qui travaillait dans la recherche, sur les blockchains plus précisément, et en informatique, si il y a bien quelque chose que l’on n’arrive pas réellement à produire, c’est du hasard. Je lui demande si cela n’est pas un problème puisqu’il est nécessaire pour cette technologie. Il me répond qu’il n’a pas besoin d’un hasard de bonne qualité… Mais comment ce peut-on quantifier la qualité du hasard ? Ce n’en est plus si il est quantifiable. Enfin de mon point de vue.
Le hasard est aussi souvent utilisé dans les rencontres entre personnes, là aussi je n’arrive pas du tout à y voir quoi que ce soit de hasardeux, à tel point que j’aime chercher quelle est la cause de notre rencontre, c’est encore plus sympa de faire cette démarche avec l’autre. Toutes avaient un sens, parfois compris très longtemps après, à quelques exceptions près. J’y ressens même un forme d’intrication qui ressemble à l’intrication quantique, où les personnes rencontrées ont un effet permanent sur mon propre état.
Je me rappelle l’explication d’un sociologue sur le hasard des rencontres, il prenait l’exemple d’un couple qui racontait leur rencontre, fruit du hasard. Ils s’étaient rencontrés au cinéma et il décryptait de cette manière. Ils ont été au même cinéma, donc ils partagent une occupation et une classe sociale. Ils ont été à la même séance, donc ils ont des disponibilités similaires. Ils ont été voir le même film, donc partagent un goût dans le choix du film, etc… Le hasard a eu finalement peu de place dans cette rencontre.
Me voici arrivé au bout de cet article sur des notions très abstraites, dont mon fonctionnement autistique me donne une perception un peu différente du monde. Si vous êtes arrivé sur cette page et que vous l’avez lue jusqu’au bout, c’est sûrement pas du hasard 😉
Photo de Nick Fewings
Très intéressant, ton blog est une vraie mine d’or. Il m’aide à mieux me comprendre! ^^
Les mots chance, hasard, et autres « quel bol! », je les utilise assez souvent pour des raisons pratiques, même si je pense toujours en terme, ou plutôt schémas, de probabilités. Sinon je me perds dans les détails…et aussi le fil de la conversation, car j’ai du mal à synthétiser. Je trouve ces mots sympathiques, légers, j’aime bien leur sonorité mais ça s’arrête là.
Je ne crois pas non plus au hasard en tant que tel et encore moins à la superstition. L’exemple du couple que tu as donné, qui ce serait soit-disant rencontré par hasard est très parlant.
J’ajouterais que fait d’être vu comme trop rationnel est aussi un facteur d’exclusion sociale important dont, à mon avis on ne parle pas assez. Quand par exemple dans un groupe, tout le monde « touche du bois » pour se porter chance je trouve ça vraiment absurde et je refuse de me plier à ce genre de règles implicites. Dans mon milieu professionnel je dirais, mise à part mes hypersensibilités sensorielles, que c’est même la principale raison pour laquelle je me sens en décalage constant par rapport à mes collègues ou connaissances.
Un mot ou une phrase comme « il fait froid » utilisée sans référentiel, ça me fait aussi des noeuds au cerveau, car en effet c’est très subjectif!
Pour pouvoir se situer, il faut réussir à mettre la phrase dans son contexte, ce qui demande une certaine flexibilité. Et donc de gros efforts. Pour moi les souvenirs de cette sensation, vu ou entendus sont naturellement dominants par rapport au contexte.
Le contexte est qqch qui évolue sans arrêt, je le vois comme une langue dont les règles changeraient sans arrêt, et ce sans raison apparente. Même si avec le temps et l’expérience les erreurs de grammaire se font plus rares, comme notre base de données de modèles « prêts à l’emploi » grandit au fur et à mesure.
Bonjour,
Je te remercie pour la générosité avec laquelle tu partages tes observations claires et précises sur toi-même et le monde.
Je ressens que j’ai de la chance de pouvoir lire tes articles car ils m’éveillent à des choses que je ne perçois pas et me font me poser des questions que je ne me pose pas. Vraiment, merci beaucoup.
Merci pour ton retour,
C’est un plaisir de partager cette perception. Les commentaires sont aussi précieux pour moi, il me permettre de comparer et identifier des comportements que l’on partage. Si cela peut nous aider à mieux se comprendre et à mieux être compris, c’est génial!